Les prénoms, lieux et dates de ce récit ont été rigoureusement modifiés par l’auteur afin que l’anonymat et l’intimité des personnes évoquées ainsi que de leurs familles soient garantis et respectés.
Pour Marité Gaudefroy,
En souvenir de mes joyeuses années de théâtre à ses côtés,
Sous sa magistrale direction
Pour mes frères Enguerran et Alban,
En témoignage d’affection et de reconnaissance
***
Un soir d’octobre. L’air est doux, un peu trop sans doute. L’automne devrait se revêtir de fraîcheur et de sombreur, de l’amertume de nos illusions, ouatées, irisées, celles d’une saison qui n’est plus et qui, toutefois, paraît vouloir jouer les prolongations. Les bras et désirs se déshabillent. De la même manière que nous dévisageons, non sans étonnement, les jambes lustrées et pourprées de deux touristes américaines croisées là sur le quai de la Tournelle, aux confins du boulevard Saint-Germain, enrobées d’une jupe très courte. Un peu trop sans doute.
Les terrasses regorgent de monde, d’un monde coquet et embaumé, élégant, joyeusement disert, embrumé d’alcool, d’un alcool cotonneux, charmé de joie et de réjouissantes promesses. En cette soirée caressée d’une chaleur inhabituelle, le quartier latin offre le sentiment, suave et suranné, que l’existence est une sucrerie, une madeleine servie avec déférence dans le salon de thé de nos journées oisives, colorées de rose et de vert pâle. Les tons de la délicatesse, de la sérénité, de la gâterie. Les tonalités de Janou. Quelques-unes parmi d’autres.
Couchées sur un piano de bonne facture, les notes de Jeanne-Marie, que ses amis prénomment affectueusement Janou, nous attendent dans le sein et la poche du Théâtre de l’Ile Saint-Louis. Exquises, envoûtantes, mélancoliques souvent, monumentales aussi, elles sont marquées du sceau de la sensibilité et de la force, rendent compte d’une histoire douloureuse, d’un cheminement lent mais progressif vers l’acceptation, la guérison, le bonheur. Elles filent et défilent sur l’instrument comme l’on pourrait courir au-devant de la félicité, d’un idéal de félicité. Avec empressement, un geste de doute parfois. Avec enthousiasme et prudence. Les doigts de Janou ne sont pas de trop pour explorer la diversité d’une palette de couleurs qui va de la noirceur à l’éclatante lumière, de la souffrance à l’apaisement, de moi à toi, de moi vers toi. De toi avec moi. Palette de nos peurs et progressions, de nos rencontres et abandons quels qu’ils soient, aussi déroutants que puissent être l’apparition et l’installation d’une inconnue, d’un inconnu dans le cœur de nos sentiments.
L’air est doux, moite, humide. Les yeux se perlent de larmes. Les larmes silencieuses du souvenir. Celles de ce qui n’est plus. Les larmes silencieuses du poids des colères et fragilités d’un esprit enchaîné, comme autant de cicatrices qui effleurent à la surface d’un cœur et d’un corps par trop malmenés. Accompagnée de son mari Charles-Edouard, Ségolène, mon amie d’enfance, la seule que j’aie conservée de ma jeunesse orageuse et d’une société dans laquelle la différence conduit inexorablement à l’indifférence, paraît communier avec la vaporeuse atmosphère qui nait des soubresauts dont les mains agiles et fines de Janou sont les instigatrices, qui s’élève par volutes ferventes dans les hauteurs du petit théâtre formant, ce soir-là, sous la protection de Saint Louis, cathédrale des sonorités de l’âme. Emporté par le flot des mélodies baladeuses, mutines et subtiles de Janou, par ses compositions enveloppantes et feutrées, rasséréné également par la présence de mes amis assis à mes côtés, je ferme les yeux qui, une fois n’est pas coutume, refusent de se soumettre à l’activisme vivace de l’esprit, le mien, de son raisonnement fertile autant que débordant. Un peu trop débordant sans doute.
Mes poumons se délectent du souffle de l’énergie cependant que mon cerveau s’abreuve d’inspiration, d’un espoir renouvelé. Quelques mois se sont écoulés depuis la touche finale de mon dernier récit consacré à Marguerite et notre petite affaire. L’eau a coulé sous les ponts, la Seine a charrié mes effets personnels d’une rive à l’autre, d’une cité à une autre, germanopratine cette fois, pour mieux charmer la partie de mon nom que je préfère mais aussi pour réconcilier, tenter à tout le moins, mes années de babillage et celles, actuelles, du déshabillage de mes atours de deuil et souffrances. Le futur n’a de présent que si le passé s’entend, faute de pouvoir se taire.
La créativité de Janou invite à l’inventivité artistique. Il me vient l’envie d’écrire. Une nécessité aussi brûlante, fulgurante, que délicieuse. Les mots m’ont tant manqué durant tout ce temps. Leur naissance, soudaine autant qu’imprévisible, leur cohabitation, qui n’a rien d’une sinécure, la poésie et la mélodie de leur mutualité, de leurs accords ; tout cela m’a été ôté durant quelques mois et revient, par vagues déferlantes, au soir du récital majestueusement offert par Janou, la fée des rêves, au crépuscule d’une longue période de convalescence et de rééducation. De souffrances, encore.
Il y a peu, un ami artiste, Laurent, me faisait remarquer que le perfectionnisme de nos tempéraments nuisait à notre fécondité, à notre assiduité, à notre inspiration créatrice. La peur découle de cette volonté trop forte de bien faire, de trop bien faire, d’être au rendez-vous des attentes qui n’existent pas tout à fait et qui, pourtant, paraissent se dessiner dans les yeux étincelants de ceux qui sont sensibles au charme de notre production. La dimension excessive des désirs et aspirations, les nôtres, mais aussi celles que l’on devine chez les autres, ou que l’on croît deviner, l’ambivalence entre l’envie supérieure, suprême, et la peur de ne pouvoir franchir le sommet du château de cartes que l’on a soi-même échafaudé, tout cela a souvent raison de notre travail d’artisan qui se voudrait d’artiste. Comment conjurer le sort, éloigner les doutes, permettre que la crainte de ne pas réussir, qui confine à l’effroi, fasse bon ménage avec l’objectif donné, qui confine au défi ?
Faire fi des réticences.
Faire fi de la frayeur. Et des tourments.
Faire fi des infidélités.
Faire fi des tourments. Et de la noirceur.
Faire fi des pluralités.
Faire fi de la mésestime. Pour mieux goûter à la confiance.
Au seuil de son existence épineuse, rageuse, Georgio ne s’est-il pas demandé si les espoirs immenses qui avaient été placés sur sa tête, aussi ronde que gracieuse, ne l’avaient pas empêché de rire à ses envies, à ses rêves, à ses passions, tournées vers la poésie et les arts du spectacle ? La pression sociale et professionnelle qui chargeait les recommandations paternelles, le plus souvent des injonctions ou admonitions, n’avait-elle pas eu pour effet de contraindre Georgio à l’immobilisme le plus parfait, à la passivité, ou plus exactement à l’impossibilité de réagir, de faire face, d’affronter durablement les coups de vent, les ouragans qui, invariablement, noircissent le ciel de nos vies ?
Georgio est décédé un jour d’avril. Dans une presque indifférence et le dénuement. Quelques mois plus tard, il me fut demandé de rechercher ses héritiers. L’histoire du bel incompris allait m’être contée à l’aune des photographies et correspondances épistolaires qui nous seraient présentées au moment de l’ouverture de son appartement très encombré, à dire vrai inaccessible, à l’écoute enfin des témoignages des rares voisins qui, de manière désintéressée, s’intéressaient encore à lui. Georgio ne serait-il pas devenu un artiste de renom, enveloppé d’étoiles et de gloire, s’il avait été encouragé, accompagné, compris ?
*
* *
Un matin de novembre. Aube d’une journée brumeuse. Electrique.
Une ville de banlieue parisienne qui ne connaît pas la pierre de taille, seulement la briquette rougeoyante de modeste qualité. Les rues qui la quadrillent respirent l’infinie tristesse, une sorte de désolation huileuse. La pauvreté transpire jusque dans l’esthétique des immeubles et maisons disséminés à la va-vite lorsque le chemin de fer, les charbonnages, l’enrichissement bourgeois et coupable ont fait leur révolution et engendré le monde industriel, moderne, qui est aussi le nôtre. Absence d’une quelconque recherche ou sophistication architecturale, dissymétries généralisées et mochetés hoquetantes, qui pourraient passer pour volontaires, peignent le décor d’une cité où il ne fait pas bon rester durablement. Défoncés à la faveur du temps qui passe et ne répare rien tant que les maux de l’esprit, les trottoirs étaient jonchés de détritus malodorants, souvent générés par les établissements de fast-food de l’avenue Aristide Briand, le KFC tout juste retapé dont la devanture aguichait le quartier au moyen de ses néons tout neufs et de ses couleurs phosphorescentes, le Mac-Do qui, désormais, servait à la carte de grands discours favorables à l’environnement, au progrès, à la raison. Quelques badauds, jetés là par la force des choses et d’un approvisionnement nécessaire, marchaient tête baissée. Ils ne croyaient plus en la beauté du monde ni en l’intérêt de l’existence. Leur espérance avait fui avec le train des utopies de la jeunesse.
– Police ! Ouvrez la porte !
Les forces de l’ordre, présentes en nombre dans la petite rue aux murs fanés, ne badinaient pas. Déterminées et tendues, elles désiraient en découdre, à la manière de félins sur le point d’attaquer leur proie. Nous n’en menions pas large. Nous, la notaire en charge du règlement de la succession de Georgio, l’huissier de justice diligenté pour assurer le bon déroulement des opérations et attester de leur régularité, le commissaire-priseur venu dresser l’inventaire des biens mobiliers, mon associé Geoffroy et moi-même qui représentions les héritiers. En retrait, la mine sombre, quelque peu inquiets du ramdam que provoquait l’envahissement de la rue par les policiers lourdement équipés et armés, mais aussi circonspects par la suite des événements, nous assistions, tels des spectateurs, à l’introduction de nos anges gardiens dans l’immeuble que Georgio possédait et qui, peu de temps avant le dernier souffle de sa vie, avait été squatté. Entièrement. Violemment. Envahi par une horde d’indésirables avec la duplicité de la municipalité communiste et la complicité des associations prétendument humanistes pour lesquelles un bien vacant contrevient à la solidarité, offre un relent d’injustice et de culpabilité, celui de l’argent gagné au détriment des travailleurs. S’enrichir dans un cadre légal n’a pourtant jamais été considéré comme un délit. La violation d’une propriété l’est à contrario, qui n’est pas sanctionné à la mesure du préjudice subi.
L’opération d’envergure, habilement imaginée par notre notaire aussi rigoureuse qu’énergique, dont les cheveux d’un joli blond vénitien et les taches de rousseur trahissaient une ascendance celtique ou gaélique, avait à peine débuté que le commissaire de police vint nous demander de nous tenir sur nos gardes, de ne rien entreprendre qui portât atteinte à notre intégrité comme à la réussite des inventaires programmés. Remontée comme un coucou, soucieuse de la justice autant que du respect des droits du défunt, de ceux de ses héritiers, la notaire rudoya poliment le fonctionnaire. N’ayant pas froid aux yeux, elle se plaçait à ses côtés lorsqu’il intimait l’ordre aux squatteurs d’ouvrir leur porte. Il n’était pas dix heures du matin et les résidents appréhendés venaient à peine de se coucher. La toxicomanie et les divers trafics les avaient bien occupés durant la nuit. Ils étaient surpris de nous voir, bien qu’encore endormis, surpris mais pas décontenancés. Pas le moins du monde. Ils s’étaient appropriés le petit immeuble de Georgio, avaient fait changer les serrures et souscrit à des contrats d’électricité sans qu’aucune vérification ne fût entreprise par les fournisseurs d’énergie. Les indésirables étaient désormais chez eux. Ils y étaient bien. Très bien même. Sans imaginer que leur occupation, illégale, répréhensible, pouvait indisposer. Sans penser que leur méfait pouvait occasionner le malheur. Le malheur de ceux qui l’endurent. Le malheur de Georgio en particulier qui, lorsqu’il avait eu vent du squat par l’appel d’un voisin, s’était rendu sur place, avait été roué de coups, poussé dans le caniveau et laissé là, dans le bain de son sang et de l’abomination. Transporté aux urgences, il avait été opéré et sauvé. Traumatisé, désespéré, il s’était enfermé dans son appartement parisien où il fut retrouvé mort trois mois plus tard.
Dans la douleur, une vie d’épreuves et de heurts s’était éteinte. Le mauvais œil n’avait jamais cessé de persécuter Georgio. Implacablement, le sort s’était acharné. Le coup porté ne suffisait jamais, la bête traquée résistait toujours. Il est vrai qu’elle en avait vu d’autres.
Tandis que, sous une protection policière plus qu’indispensable, le commissaire-priseur poursuivait sa progression au milieu des invectives afin d’opérer l’inventaire des biens meubles de Georgio qui n’existaient plus – ils avaient été évacués ou vendus par les squatteurs –, je m’interrogeais sur l’existence et l’histoire de notre malheureux Parisien, me désolant de ne pouvoir en esquisser les contours. Plus aucun objet, plus aucun effet personnel ne pouvait me permettre de dresser le portrait d’un homme dont je ne connaissais que les traits physiques avenants, volontiers poupards, qui enluminaient la pièce d’identité figurant au dossier, mais aussi les détails de la fin tragique. Les appartements de l’immeuble avaient été soigneusement vidés, au même titre que les caves et greniers. Avaient-ils conservé le mobilier des grands-parents de Georgio, empoussiérés de souvenirs et de secrets bien gardés, les vêtements de drap fin méticuleusement rangés dans de lourdes malles de cuir fatiguées d’avoir trop voyagé, les titres de propriété des biens immobiliers et fonciers transmis génération après génération à la façon d’un trophée, d’un César de cinéma ou du Sceptre d’Ottokar ? Avec autant de solennité que d’émotion ? De tous temps, ces symboles d’un ancrage territorial, mental, culturel, ont le pouvoir de rassurer, de conforter une position et, en conséquence, de réconforter. Le petit tiki polynésien que m’a offert mon ami Damien, l’homme aux couleurs de soleil et aux mots de soie, me donne le même sentiment d’une histoire qui marque ses développements dans la pierre, le marbre d’intemporalité ou d’universalité, et qui, parce qu’elle est vouée à ne jamais être oubliée, apaise, remplit le verre de confiance et de sérénité. Ces souvenirs si présents, ces présents d’un souvenir que la temporalité conjugue aussi au futur, sont les anges gardiens de nos âmes parfois embrumées, de nos vies immanquablement soumises aux souffrances et aux affres des deuils.
Les inventaires dans la dizaine d’appartements illégalement occupés prirent fin dans le milieu de la journée. Le vent s’était levé. Un vent de noires prémonitions. La pluie grondait au loin. En moi, tonnaient des sensations empreintes de tristesse et de colère. De tristesse compte tenu de l’absence inique d’assistance à laquelle Georgio fut confronté au soir de son existence ; compte tenu, par ailleurs, de la désolation qui s’offrait à nous dans le sein du petit immeuble de style art-déco édifié par les grands-parents de Georgio. Sensation de colère, enfin, au regard de l’impunité qui donna champ libre à la réappropriation de l’immeuble par des familles clandestines. D’une manière ou d’une autre, les pouvoirs publics ne pouvaient-ils pas empêcher cette situation qui, indiscutablement, conduisit à la mort de Georgio ? Ne pouvaient-ils pas poursuivre les occupants de l’immeuble, coupables notamment de violence volontaire sur sa personne, et instruire la plainte qu’il déposa au moment où, épuisé, abattu, déboussolé, il quitta l’hôpital ?
Aucune action ne fut entreprise pour secourir, assister un homme âgé. Un vieillard seul, désespérément seul, aux abois. La non-assistance à personne en danger ne serait-elle qu’une vaine considération juridique, sertie de pacotille, parfumée de fausse bonne-conscience ?
*
* *
La matinée que nous avions vécue dans une ville sinistre, infiniment triste, désolante pour ne pas dire affligeante, et dans un climat de violence poussé au firmament de l’incompréhension et de la réprobation, ne nous avait pas permis de rencontrer Georgio, lui et son histoire, la genèse et les développements de son existence, la nature de ses goûts, les aspirations qui furent les siennes depuis le moment où se dessine la construction de la personnalité, la construction de soi qui débute par la déconstruction de ce qui, ambivalence suprême, constitue nos fondations, notre armature, les fondements de notre être.
Le second round allait enfin nous confier les clés de l’armoire qui conserverait, dans des boîtes en carton ramollies par l’humidité, les photographies anciennes, celles d’un temps de bonheur où les sourires le disputent à l’harmonie, les souvenirs de famille jalousement gardés, tels que les médailles du grand-père, héros de la Grande Guerre, les diplômes d’un aïeul médecin dont on ne sait plus vraiment par quel côté de l’arbre généalogique il nous a offert sa paternité, les prix de scolarité d’une vénérable ancêtre qui excellait en langue latine mais détestait les méditerranéens et leur soleil qui défraichit la peau en la chiffonnant.
Le lendemain du premier round entaché de noirceur, le second nous mena au domicile de Georgio. Son domicile propre. Sans l’assistance policière cette fois-ci. A la différence de la ville de banlieue dépourvue de charmes et d’attraits – même bien cachés –, de cette cité perdue que pour rien au monde nous n’eussions l’envie de revoir, Paris nous rasséréna. Son ordonnance structurée, cohérente, équilibrée comporte ce-je-ne-sais-quoi de quiet et de lumineux. D’ensoleillé, quoique le soleil ne soit pas particulièrement généreux et rayonnant en cette latitude terrestre. L’architecture parisienne m’apaise. Je reste attaché à l’esthétisme, à une certaine forme de classicisme, au pouvoir de l’émerveillement et de l’agrément lorsque, au cours de ma promenade ou de ma course, je lève le nez en direction d’un édifice. « La beauté naît de la simplicité » affirmait mon aïeul Charles Rohault de Fleury (1801-1875), architecte méconnu des serres du Jardin des Plantes à Paris, de majestueux immeubles et hôtels particuliers dans les quartiers de l’Opéra et des Champs-Elysées, mais encore de la Chambre des Notaires qui dévoile son délicat visage à qui pénètre sur la place du Châtelet. Julien Brault, conservateur et historien, s’attache à faire connaître l’œuvre de cet homme visionnaire. Fréquemment, il me fait part de ses découvertes documentaires à son sujet, lesquelles nous enchantent, lui comme moi. Il aime Paris, aussi puissamment que Georgio qui, la nuit venue, fréquentait les cafés et brasseries mythiques, les salles de concert et d’exposition, les lieux de culture, d’amusement, qui font la réputation de notre capitale des arts et plaisirs.
Le second inventaire au domicile de Georgio dans un quartier du sud de Paris animé de mille sonorités pouvait débuter sous la houlette du commissaire-priseur habillé, à nul autre pareil, d’élégance comme de verve.
– Oh, mon Dieu ! S’esclaffa la notaire.
– Ah… Dis-je presque simultanément.
– Bon, bon, répliqua Geoffroy avec un air de dépit, teinté de fatalisme.
La porte d’entrée de l’appartement sitôt poussée, avec peine il est vrai – et pour cause –, nous découvrîmes un spectacle peu ragoûtant. Un monticule d’immondices. Toute une vie d’accumulation et de saletés, de souffrances et de frustrations, entassée là de manière anarchique. Un capharnaüm inutile. Odorant. Malodorant. Indescriptible. Impossible fut notre entrée et notre progression au milieu de ce fatras protubérant, horizontal autant que vertical. Les hauteurs de l’appartement n’avaient pas été oubliées. Ni même les revers de portes et les dessus d’armoires. Pas moins les assises de fauteuils, au point que leur usage initial n’était plus d’actualité depuis belle lurette. Georgio, créature de la plus grande espèce mais aussi créateur du plus petit espace, avait fait preuve d’une imagination à toute épreuve pour trouver, dénicher l’endroit qui manquait encore à son besoin toujours plus pressant de posséder et de conserver, l’une de ses manies névrotiques. A l’instar du conservatisme, politique, religieux, la conservation rassure. Elle peuple une solitude, comble l’absence. Celle des parents que l’on a terriblement aimés, que l’on a aimés dans la douleur, celle des amis dont on attend, avec émotion mêlée de crainte, qu’ils vous témoignent un tant soit peu d’attention et qui, pris par leurs occupations et leurs responsabilités familiales, ont cédé à l’impitoyable pouvoir de l’oubli.
L’ampleur de la syllogomanie de Georgio était-elle à la hauteur et à la mesure de sa nécessité d’éloigner les fantômes et les souvenirs que ceux-ci provoquent ? Recouvrir les meubles et les objets de ses parents disparus, figures tutélaires, procède-t-il non seulement de l’amour éprouvé à leur endroit, d’une fidélité à leur mémoire et à ce qu’ils ont transmis, mais aussi et surtout de l’impérieuse volonté de survivre à leur décès, d’une façon ou d’une autre, d’apaiser la souffrance inhérente à la rupture, mort oblige, du lien exclusif qui s’est tissé depuis la naissance ? Plus précisément, et de manière tout à fait inconsciente, Georgio n’a-t-il pas tenté de reconstruire ou de se réapproprier sa vie sur les fondations de l’ancienne – matérialisées par les biens de ses parents – au moyen des objets récupérés ça et là, entassés à l’excès afin de soulager un cœur sujet à l’angoissante, à l’abyssale sensation de solitude et de vide intérieur ?
Quelques photographies en noir et blanc trainaient là, sur la table de la salle-à-manger. Georgio les avait sorties et regardées peu de temps avant son décès. Dans le clair d’une journée cafardeuse, le blanc des yeux de ses parents représentés l’un à côté de l’autre, un peu gauches devant l’objectif, comme gênés de devoir se plier à la volonté du photographe. Dans le clair d’une journée cafardeuse et le noir de pensées endolories. En extrayant ces vestiges de l’armoire de sa chambre, en scrutant le visage de ceux qui lui avaient donné naissance, Georgio avait-il le sentiment que le grand voyage le conduirait bientôt à leur chevet, que le souffle de vie s’éteignait, éteignait ses désirs ? Le passé se rappelait à lui et, prestement, la mort le rappellerait à elle. Fulgurance de la rencontre entre le perceptible et l’insaisissable, la conscience et l’imperceptible. Coup de foudre entre vie et mort. Le moment était venu pour Georgio de se laisser conduire vers la quiétude d’un nuage de repos. Et d’apaisement, ultime.
Sous l’amoncellement de documents divers et de factures colorées sinon salées, côtoyant un morceau de biscotte entamé et un bol de café qui n’avait pas été bu entièrement, une autre photo attira mon regard, charmant l’étude de cette scène qui eût inspiré un cinéaste, un peintre hollandais ou impressionniste. Une photo de Georgio dans ses années printanières. Le jeune homme est beau. Indéniablement. Les traits, fins, épousent une géométrie parfaite. Le visage est rond, non sujet à l’embonpoint. Haut, le front coiffe des cheveux bruns et abondants. Soyeux. Presque ondulés. Vifs, lumineux, troublants, les yeux dévisagent le photographe avec force, ferveur pourrait-on dire. La mine est éclatante. Georgio paraît heureux de vivre l’instant, de se trouver si plaisamment accompagné. Quelle est l’identité de l’auteur du cliché dont la présence dessine sur le visage du sémillant jeune homme un tel sourire de félicité, d’abandon, d’affection ?
Si elle rendait compte d’une véritable inclination personnelle, la photographie conforterait l’adage selon lequel l’amour rend vivant et heureux. N’eût été la passion ou la tendresse, l’expression de Georgio n’aurait pas été pénétrée du même scintillement, du même enthousiasme. Avant de rejoindre les étoiles, Georgio contemplait les photos d’un passé merveilleux, enjôleur. Le sien. Se résumant, semble-t-il, à la proximité élective de ses parents, à celle de cet être qui, lorsqu’il était très jeune, lui avait fait connaître la joie suprême d’être aimé.
Une biscote pas tout à fait avalée. Un bol de café à peine savouré. Un appartement encombré, très encombré. Des immondices, transmissions maladives et maladroites de ce qui ne l’a jamais été au cours de l’existence. Des souvenirs, à foison. Un peu de bonheur. Trop peu pourtant. Des parents aimés. Une amoureuse. Un amoureux peut-être ? Des malheurs, nombreux. Trop nombreux. Le squat, un malheur parmi d’autres.
Un matin d’avril, de fait, tout cela n’avait plus aucune espèce d’importance. Georgio venait de quitter le ring. La mort soulagea pour de bon le KO de sa vie. Le chaos était désormais derrière lui. Lui, le bel incompris. Plus aucun coup ne pouvait l’atteindre, contrarier ses desseins, les dessins de son imagination fertile et créatrice, les dessins d’une sensibilité particulièrement exacerbée.
*
* *
Une voisine se présenta à nous. Jeannette, de son doux prénom qui nourrit la nostalgie. Elle eut vent de notre présence par la gardienne de l’immeuble que nous n’avions pas prévenue de notre visite dans l’appartement de Georgio. Il est bien connu que les gardiennes savent tout, absolument tout. Notamment ce dont elles ne sont pas informées. Plus encore ce qu’elles ne sont pas supposées savoir. Elles sont dotées d’un sixième sens et, en cela, demeurent si précieuses.
En cette matinée d’inventaire, nous rencontrâmes donc Jeannette, une petite dame haute en couleurs dont les cheveux frisés et peinturlurés me firent penser aux poils d’Elfie, le caniche fugueur de Bonne-Maman, ma charmante grand-mère de Toulouse. A ses propres cheveux aussi. Il est bien connu que les chiens ressemblent à leur maître. Elfie ressemblait à ma grand-mère. Mais ma grand-mère ne ressemblait pas à son caniche puisqu’elle ne fuguait pas. Je m’égare, me direz-vous. Oui, je me suis égaré. Revenons donc à nos moutons, dont les poils me rappellent encore les cheveux d’Elfie, de Bonne-Maman et de Jeannette. Chouette, revoilà Jeannette ! Je suis retombé sur mes pattes ! Celles d’Elfie ou du mouton, me demandez-vous ? Mais me l’avez-vous demandé ?
Jeannette avait bien connu Georgio et ses parents. Elle était née dans cet immeuble du sud de Paris en un temps, canonique, où les artistes se fixèrent dans le quartier de Montparnasse. Foujita, Joséphine Baker en passant par Zadkine et Kiki, le 14ème arrondissement devint l’épicentre de l’art sous toutes ses formes, des avant-gardismes, des audaces, inspirées, sages ou plus subversives. Prudemment, avec délicatesse, l’histoire de Georgio nous fut racontée par sa voisine. Une partie à tout le moins car Jeannette ne pouvait pas tout savoir des vies de celui qu’elle considérait comme un ami, un ami bien solitaire et distant dans les dernières années de son existence puisque, progressivement, il se complaisait dans son isolement, évitait les échanges, les sollicitations et invitations de Jeannette en particulier.
Gravement malade, la mère de Georgio était décédée quand son fiston n’avait pas quinze ans. Premier drame d’une vie qui en dénombra d’autres. Georgio n’avait pas vingt-cinq ans quand, au retour d’une harassante journée de travail, il découvrit son père en suspension, la tête enrubannée, le corps inanimé, dégingandé. Cette violence lui fut volontairement infligée. Le crochet du plafonnier du salon était encore présent et visible lorsque nous visitâmes l’appartement de Georgio. Celui-ci aurait pu faire disparaître l’élément du malheur qui permit au vieil homme de se donner la mort. Il n’en fit rien, désirant conserver ce lien symbolique avec ses parents, qu’il vénérait aussi passionnément que malencontreusement et douloureusement, ce lien avec leur histoire, la genèse de la sienne, avec les souvenirs. Avec les reproches parentaux aussi qui, sans discontinuer, lui étaient assénés.
En contemplant le crochet, en dévisageant les traits du désarroi qui se manifestait par l’accumulation, l’encombrement de cet appartement fort peu lumineux, je me demandai si les parents de Georgio n’avaient pas été les instruments, actifs, pernicieux, de son malheur ; s’ils n’avaient pas induit son incapacité à asseoir sa personnalité, à assumer ses singularités, ses désirs, tous ses désirs, même les plus transgressifs ; s’ils ne l’avaient pas enchaîné à une soumission nocive à leur égard, à une sujétion mortifère, annihilant tout élan de créativité comme d’épanouissement personnel. Ma chère sœur, Marine, mère de cinq filles aussi jolies qu’épanouies, aussi différentes qu’attachantes, me disait souvent que l’éducation d’un enfant consiste à l’accompagner jusqu’à l’extraction du nid au moment de sa majorité, puis à son éloignement définitif, à le fortifier physiquement et mentalement afin que, de façon très naturelle, de son propre chef, il ressente la nécessité, le besoin de quitter le foyer formé par ses parents et sa fratrie. Pour exprimer les choses plus littéralement, un parent ne devrait pas œuvrer, par des moyens qui coudoient le conditionnement et la subordination psychologiques, pour garder son enfant dans son giron, dans le sein de son environnement quotidien lorsque celui-ci atteint l’âge de l’autonomie et de l’indépendance.
Georgio fut empêché de voler de ses propres ailes. A ce titre, maman et papa poule avaient été efficients. Autant que les parents de Nicole, de Marie-Françoise ou de Clodie, protagonistes de mes précédents récits…
*
* *
« Paris, le 19 février 1991, 11 heures.
Ma chère Évelyne chérie,
Un petit mot pour te dire, très sincèrement que je souhaite que nos relations amoureuses reviennent comme avant entre toi et moi.
Je suis prêt de tout cœur que tu viennes habiter chez moi à Paris, sans rien te réclamer pécuniairement, tout en acceptant ta gentille fille Carole, et à faire des efforts en m’engageant sérieusement vis-à-vis de toi, afin d’avoir une vie de couple normale.
Téléphone-moi très rapidement, tôt le matin. J’espère sortir avec toi, comme convenu de ta part, un soir de cette semaine.
Sinon, notre situation et la solitude me rendent très malheureux.
En attendant, je ne pense qu’à toi.
Tendres bisous. Je t’aime,
Georgio »
–
« Paris, le 21 février 1991, 11 heures.
Ma chère Évelyne chérie,
Je t’en supplie et te demande de revenir sur tes positions…
Je tiens très sincèrement à te dire que j’ai de plus en plus de sentiments d’amour très forts envers toi. Et en toute franchise, je t’accepte chez moi, sans oublier ta gentille fille Carole.
Je ne pense qu’à toi et t’embrasse tendrement en te serrant très fort.
Affectueusement,
Georgio qui t’aime. »
–
« Paris, le 24 février 1991, 10 heures 30.
Ma chère Évelyne chérie,
Je t’attends le plus vite possible à vivre chez moi en vrai couple sans rien te réclamer pécuniairement, avec tous les avantages, en te considérant comme ma femme et en acceptant la présence de ta gentille fille Carole.
Je m’engage vis-à-vis de toi très sincèrement.
Nous devons absolument nous voir ou nous téléphoner cette semaine.
Je te demande de me pardonner pour les erreurs ou le mal que j’ai pu te faire.
Je ne pense qu’à toi.
A ma bien aimée et plein de tendres bisous en te serrant très fort dans mes bras.
Georgio qui t’aime.
En toute intelligence, je te demande de revenir.
Je t’aime. »
–
« Paris, le 4 mars 1991, 17 heures.
Ma chère Évelyne chérie,
Je t’écris à nouveau pour te demander de revenir et pour te préciser que, depuis que nous nous connaissons, j’ai des sentiments sincères très forts vis-à-vis de toi. Je veux que tu viennes vivre intensément chez moi, sans rien te réclamer pécuniairement. J’accepte à part entière ta gentille fille Carole.
Téléphone-moi très vite. Je souhaite te voir et sortir avec toi un soir, très bientôt.
Cette situation me rend de plus en plus triste et nostalgique. En toute intelligence, reviens. Je ne pense qu’à toi.
Je termine ce mot en t’embrassant bien fort et affectueusement.
Georgio qui t’aime. »
–
« Paris, le 6 mars 1991, 14 heures.
Ma chère Évelyne chérie,
Juste un petit mot pour te demander de bien vouloir me téléphoner le plus rapidement possible. C’est très urgent. Je compte sur toi. A très bientôt de t’entendre.
Je ne pense qu’à toi.
Tendres bisous.
Georgio qui t’aime ».
–
Les copies de ces missives garnissaient l’armoire des souvenirs. Des souvenirs heureux, des souvenirs funestes. Georgio avait aimé Évelyne, pas autant qu’elle l’eût désiré, pas de la manière qu’elle eût voulu. La jeune femme tout de blond chapeautée, au sourire franc et rayonnant que des photographies décolorées transcrivent encore – elles avaient été conservées –, lui avait rendu la monnaie de sa pièce en partant du jour au lendemain sans donner aucune nouvelle ni aucune explication, sans jamais répondre à ses lettres, à ses instances et furtives insistances. Celles d’un amant peiné. Peiné, pas tout à fait désespéré. Quel était le ferment de cet amour troublé ? Qu’éprouvaient-ils réellement, l’un et l’autre, l’un pour l’autre ? Un amour teinté de passion, un amour caressé d’affection, un amour empreint d’amitié, une amitié amoureuse ou, plus chastement, une amitié charmée de tendresse ?
Les mots et formulations de Georgio sonnent un peu faux. Il leur manque la spontanéité, l’étincelle de la passion, la déraison, la folie d’un cœur bouleversé, perclus de douleur à l’annonce du départ et de la rupture. Peut-être, à tout prendre, la sincérité. L’argumentaire est répétitif, aride, dépourvu du moindre soupçon de violence, d’accusations. L’animosité est le corollaire de l’amour lorsque celui-ci s’échappe. En vérité, les correspondances de Georgio n’auraient pas convaincu le moins indécis d’entre nous. A leur lecture, je ressens comme une forme de calcul de la part de notre bel incompris. L’absence, la solitude, sentiments très naturels en amour et en amitié, mais encore l’aspect financier et la présence de la petite fille d’Évelyne constituent l’essentiel de la démonstration de Georgio. L’amour porté à Evelyne s’inscrivait au fond dans le cadre d’une union de raison, « bourgeoise », conventionnelle. Postiche et pastichée.
Il m’apparaît que, dans le feu de la douleur, dans le creux de l’abysse, si la douleur avait réellement rejoint l’abîme, les lettres de Georgio auraient été rédigées à la va-vite, de manière un tantinet décousue. Elles n’auraient pas été photocopiées par leur expéditeur, ainsi qu’elles le furent. Il m’apparaît également qu’elles auraient été débordantes de sentiments et ressentiments. Dans les premières lettres du mois de février, Georgio n’aurait pas lésiné sur les marques d’affection, d’attachement, d’admiration, et sur les qualificatifs louangeurs à l’attention d’Évelyne. Fades, inconsistantes, insipides, les lignes de l’éconduit n’ont guère la saveur de l’ardeur, de l’exaltation. Ni l’odeur sépulcrale de l’affliction, véritable, sincère.
Georgio était-il capable d’amour ? D’un amour qui transporte et emporte ? D’un amour qui exhume et consume ? Qui anime et sublime ? Georgio était-il capable de cet amour-là ? Avant de rompre toute relation, Évelyne avait-elle vu clair dans les yeux de celui qui se prétendait éperdu ?
*
* *
Au lendemain d’un Noël enneigé, ennuagé d’attaques grippales mais ensoleillé de joyeuses retrouvailles familiales, Geoffroy et moi empruntâmes la route qui, à trois ou quatre reprises dans l’année, ébaudissait Georgio au volant de sa petite automobile bleue d’un temps révolu. Ereintée, cette dernière n’était pas moins vaillante. Elle se donnait du courage avant d’affronter les coteaux du bocage normand, s’appliquait au moment d’aborder les virages, se raisonnait enfin et réduisait sa vitesse à l’approche de sa destination, un petit village habillé de granit, enciellé de pluies abondantes. La famille paternelle de Georgio était native de cette contrée reculée, perdue dans son immobilité. Une contrée qui, dans les années 1960, avait connu une certaine prospérité sous l’effet des progrès techniques de l’agriculture et de l’industrie, au temps où la production agricole et l’économie manufacturière pouvaient encore enrichir ses exploitants et ouvriers. Aisés sans être nantis, les aïeux de Georgio possédaient la majeure partie des terres du village, quelques bâtisses abimées par les siècles et l’humidité, disséminées dans la campagne comme les cailloux du Petit Poucet.
De petite taille, Jean avait de grandes ambitions. Celles de fructifier ses avoirs, de rejoindre Paris, de vivre à la manière d’un bourgeois qu’il n’était pas tout à fait. Qu’il n’était pas encore vraiment. Le père de Georgio était le dernier rejeton d’une famille qui, pour préserver son patrimoine, son aisance, avait limité sa fécondité autant que faire se peut. Elle y avait si bien réussi que Jean n’avait ni frères et sœurs, ni cousins proches. Il était seul dans sa famille et vivait dans un hameau esseulé. Lorsque ses parents quittèrent ce bas monde, fatigués de surveiller leurs arpents et de compter leurs pièces d’or, Jean vendit les terres ancestrales, les maisons qui avaient appartenu à ses grands-mères d’un passé lointain, rallia la capitale, ville de ses désirs capitaux et des capitaux qu’il désirait tant obtenir. Là, il devint garçon de café dans un restaurant de la porte d’Orléans. Là, il se lia avec Yvonne, la fille de ses patrons. Là, il lui fit la cour, lui offrit ses plus beaux yeux doux, bleutés de promesses, lui proposa d’associer son cœur au sien. Yvonne se méfia quelque peu quand son soupirant lui révéla ses sentiments. Fille unique, elle était possessionnée. Mais ne savait pas encore que Jean l’était tout autant. Yvonne était riche de propriétés immobilières quand Jean l’était de liquidités bancaires et du petit manoir de sa famille paternelle qu’il avait conservé. Un manoir aux plafonds bas, entoilés d’araignées, et au sol de terre battue, crotté par les boues et bouses séchées. Un manoir qui menaçait de s’écrouler lorsque nous le découvrîmes au terme d’une route longue, légèrement fastidieuse.
A notre arrivée, un consternant spectacle nous saisit. En effet, l’habitation séculaire ne tenait plus sur ses pattes. Les herbes folles et les vaches qui, peut-être, l’avaient été aussi, s’étaient appropriées les grandes pièces de vie du rez-de-chaussée, les seules qui existassent puisque les greniers n’avaient jamais eu d’autre usage que d’entreposer le fourrage. Lézardés, les murs de pierre granitique courtisaient la ruine. Totale, définitive. Le toit de chaume, éventré, faisait peine à voir. La calvitie du manoir approchait à grands pas. Un vent plus fort que d’ordinaire et elle était acquise. Irrémédiablement. Irrévocablement.
Moins sentimental que moi, Geoffroy fut séduit par ce tableau qui, à contrario, dessinait dans mon esprit et mon cœur des volutes de tristesse, de nostalgie, d’incompréhension, de regrets. L’hébétude me gagna lorsque je m’aperçus que la petite maison contigüe, édifiée dans les années 1950 à l’initiative de Jean et d’Yvonne, était livrée à la même décrépitude. Cette habitation, à l’architecture simple et rationnelle, avait été pensée par ses propriétaires pour épouser le confort, la modernité de l’époque. Entrebâillée, la porte d’entrée nous fit craindre le pire. Les pièces avaient été visitées, profanées, vidées de leurs meubles de qualité comme de leurs objets décoratifs. Le cambriolage ne nous sembla pas récent ; il avait été commis une quinzaine d’années auparavant.
Notre ahurissement fut à la hauteur de la désolation. La notaire et le commissaire-priseur, qui avaient fait le déplacement au moyen du train et d’un taxi, repartirent dare-dare, aussi vite qu’ils étaient arrivés. Rien ne pouvait être prisé dans la mesure où tout avait disparu. L’histoire se répétait. Les souvenirs de l’immeuble situé en région parisienne et ceux des maisons normandes avaient connu le même sort. A la manière d’une fuite volontaire. Ou d’une fuite non empêchée.
Au loin, nous vîmes un escogriffe s’approcher timidement, gauchement, les mains visées aux poches de sa blouse de travail. La pointure de ses bottes m’impressionna. Les pieds paraissaient aussi longs que le corps effiloché. Tout aussi longue fut l’approche. L’homme hésitait à venir à notre rencontre. Il n’avait guère l’habitude de parler. Encore moins à des Parisiens encravatés, endimanchés, embourgeoisés. André, tel était son doux prénom d’un autre âge bien qu’il ne fût pas si âgé, se décida enfin à nous susurrer quelques mots d’introduction. Fermier, il exploitait les terres de Georgio, lui réglait les fermages rubis sur ongle le soir de chaque année. Il avait été prévenu de son décès par Jeannette et attendait que quelqu’un se manifestât à lui.
– Vous tombez ben, M’sieurs. J’me désolais. Voyez ! Voyez ça !
Aidé de son index, André nous désigna les deux maisons qui ne se regardaient pas, posées l’une à côté de l’autre, l’antique et la contemporaine, dont l’état de calamité figeait durablement l’ombre qui s’était abattue et déployée sur Georgio, sa famille, son histoire.
– J’avais ben dit à M’sieur Georgio que tout ça c’était pas possible, que tout ça pouvait pas durer. Mais voyez-vous, M’sieur Georgio y m’écoutait pas. Ah non, y m’écoutait pas ! V’là-t’y pas que la maison neuve a été vandalisée, pillée. Jamais M’sieur Georgio est v’nu voir. Y s’intéressait plus à ses maisons. Elles avaient appart’nu à ses parents tout d’même. Y voulait pas savoir. Y gérait plus rien, M’sieur Georgio ! Ah, mais y voulait pas non plus m’vendre les maisons, les parcelles, tout ça. Ça l’aurait ben aidé, pardi.
D’un geste ample, de son bras interminable, il désigna à nouveau les possessions de Georgio.
– M’sieurs, j’voudrais ben vous parler de tout ça. J’voudrais ben rach’ter les propriétés de M’sieur Georgio. Vous savez, j’l’aimais ben M’sieur Georgio. J’avais connu ses parents, des gens durs, des gens d’Paris, des gens d’la haute ! M’sieur Georgio y était simple. Gentil gars. Y faisait d’mal à personne. Un gentil gars, oui, que j’comprenais pas. Non, que j’comprenais pas.
Rassuré par notre bonne mine et notre disponibilité, plus disert que jamais, André nous invita à prendre une petite collation dans sa ferme qui surplombait le coteau voisin, à quelques kilomètres de là. Paulette, sa mère, nous accueillit chaleureusement lorsque nous grattâmes nos chaussures encrassées au contact du paillasson de fer disposé sur le pas de la porte. Elle préparait déjà le potage du soir tandis que le déjeuner n’avait pas encore rassasié nos ventres affamés. La vieille femme aux joues couperosées n’était pas plus haute que le buffet bas de la salle commune. A en juger par la verticalité d’André, son défunt mari devait être immense.
Un verre de Calva nous fut servi dans de jolis verres anciens présentant des motifs floraux finement ciselés. De jolis verres qui témoignaient d’un raffinement certain. La conversation à bâtons rompus nous apprit que Paulette et André possédaient le versant ouest du village et que certaines de leurs terres avaient été acquises à la mort des parents de Jean, le père de Georgio, au moment où celui-ci prit le chemin de Paris et de la prospérité. A l’instar de Georgio, André n’avait pas eu d’enfants mais continuait de faire fructifier le patrimoine familial sous l’œil complice et admiratif de sa mère.
Les histoires ne se ressemblent jamais. Les trajectoires personnelles non plus, qui tiennent compte de l’enfance, de l’amour ou de la violence qui l’a mouchetée, de l’éducation, des expériences et événements de l’existence, des heurts et bonheurs, des rencontres aussi. Par notre entremise, André allait poursuivre l’écriture de sa vie sur les terres du malheur et de l’abandon. Les douceurs du printemps allaient enfin succéder aux gelures de l’hiver.
*
* *
Georgio, un bel homme que personne ne comprenait. Ne voulait ou ne pouvait comprendre. Les gens qui le côtoyaient, de près ou de loin, étaient charmés par son physique agréable, plaisant, qui inspirait à certains d’entre eux des sentiments plus forts que l’amitié. Jeannette l’aurait bien épousé, sur le champ, sans attendre la publication des bans. Ses yeux scintillaient d’admiration lorsqu’elle nous évoqua ses attraits et son sourire de braise. Évelyne aurait pu succomber à la braise, à son incandescence. Pourtant, elle éteignit la flamme, rangea son cœur et rebroussa chemin. André regrettait, lui qui n’avait pas été aussi bien doté par Dame Nature, que son ami Georgio n’eût pas convolé en justes noces et donné une postérité à ses parents. Il ne comprenait pas pourquoi ses traits fins, ses beaux cheveux bruns, son sourire ravageur et ses yeux de velours n’avaient pas permis d’attirer une femme dans ses filets.
Le caractère de Georgio était-il la raison de ce célibat auquel tous souhaitaient remédier, d’une façon ou d’une autre ? Ses humeurs ? Ses goûts ? Jeannette et André s’accordaient à dire que la gentillesse de leur ami était proverbiale, sa douceur, un baume d’apaisement pour ceux qui le fréquentaient et l’approchaient. L’appartement parisien conservait les preuves de l’intérêt et de l’affection qu’il suscitait. Aussi, comment expliquer la solitude d’un homme qui, en apparence, avait tout pour plaire ; mais encore ses mystérieuses attitudes qui provoquaient la réprobation de la part de ses proches ?
Jeune, déjà, Georgio était rabroué par ses parents qui s’inquiétaient de ses nonchalances, de ses aménités excessives, de son tempérament songeur, de ses inclinations et dispositions pour les arts, la poésie, les belles lettres, les ailleurs lyriques. Un enfant de cafetiers était interdit de rêveries, d’oisiveté, d’activités inutiles et futiles – l’écriture, le théâtre, la peinture en étaient. Les parents de Georgio voulaient qu’il reprît l’affaire familiale, non qu’il s’adonnât à un quelconque métier de saltimbanque. Surtout, ils le voulaient pour eux, pour eux seuls. Comment Georgio pouvait-il s’épanouir eu égard à ces carcans, à ces rigidités et exigences parentales ? Comment pouvait-il s’échapper, à l’âge adulte, de ce huis-clos familial, de cette cage dorée qui, de manière imperceptible, enfermait ses envies, l’étouffait, l’empêchait de devenir celui qu’il eût aimé être ?
Sur la route qui nous conduisait de maison en appartement, d’immeuble en terres agricoles – Georgio n’était pas dénué de moyens –, Geoffroy et moi nous interrogions sur l’existence du bel incompris, ses énigmes, ses secrets. Toute vie en porte et comporte. Des secrets. Au retour de la campagne normande lessivée par les moissons et les pluies, nous nous dîmes que Georgio avait laissé mourir les habitations que détenaient ses parents, lentement, à petit feu. Lentement mais sûrement. En ne les entretenant pas, en refusant de leur redonner de l’éclat, il désirait peut-être conjurer les mauvais souvenirs, brûler les feuilles du roman de son enfance et de sa jeunesse captive, faire disparaître, symboliquement, ses parents, ses grands-parents, ses aïeux. Tous ceux qui engendrèrent sa naissance, son passage ici-bas. Sans doute souhaitait-il également instruire sa propre disparition. Sa présence sur terre, qu’il jugeait peut-être malheureuse, et ce qu’il adviendrait après sa mort n’avaient plus aucune espèce d’importance. Il avait trop souffert d’être incompris, d’être malmené.
Il nous restait à pénétrer dans l’un des biens possédés par Georgio afin d’assister au dernier inventaire successoral de la longue liste de ceux auxquels nous fûmes présents. L’appartement se trouvait non loin de l’immeuble squatté et détérioré, dans une cité de banlieue qui, certes, n’était pas aussi morne mais ne brillait pas, elle non plus, par l’agrément de son ordonnance architecturale. Les édifices y étaient plus hauts, plus massifs, plus récents, toujours plus déstructurés. La municipalité cherchait à maintenir l’activité économique et à accueillir de nouveaux résidents. Pléthoriques, les projets immobiliers modifiaient durablement la physionomie de cette ville périphérique depuis une cinquantaine d’années.
Pour la première fois, Georgio avait sauté le pas. Celui de l’action, de l’initiative, de la liberté. Il venait d’avoir trente ans. Ses parents n’étaient plus depuis quelques années. Il se sentait fort. Epanoui. Davantage. « Je suis un beau garçon, je ne suis pas idiot, je suis fortuné. Je vais faire quelque chose de ma vie ! Je me lance ! A moi le monde ! » Il avait pris rendez-vous avec un promoteur qui lui avait vendu, en une heure à peine, un appartement spacieux et ensoleillé au 18ème étage, le dernier, de la tour Emeraude qui, bientôt, surplomberait le sud de Paris. Cet appartement, Georgio ne l’avait jamais habité. Au grand jamais. Les vieux démons étaient restés tenaces, s’étaient accrochés à lui comme une sorcière à son balai.
Geoffroy fut prévenant à mon égard. Il connaissait mes démons, pas si vieux au demeurant. Depuis quelques années, j’étais sujet à la peur des hauteurs, une peur déraisonnée apparue aussi subitement que curieusement, une peur généalogique peut-être, ancestrale, inoculée depuis son tombeau par mon aïeule Isabelle Sicot, née Giraud (1849-1935), laquelle craignait à s’en asphyxier les orages, les maladies, son ombre, les miroirs, les reflets et représentations de son être. L’épreuve de l’ascenseur de la tour Emeraude surmontée, je pris sur moi pour entrer dans l’appartement de Georgio en compagnie de la notaire, du commissaire-priseur et du fidèle Geoffroy qui, du coin de l’œil, s’assurait que je pratiquais quelques exercices de respiration dans le but de m’apaiser, que mon visage ne prenait pas les tons de l’indisposition, de la lividité. Tout se déroula le mieux du monde. Du 18ème étage, la vue sur Paris était saisissante, réjouissante, rassérénante. Une constellation de bonheur pour les yeux et l’esprit.
– Geoffroy, n’y vois-tu pas un loup ?
Le fin limier fit mine de chercher le loup. Il avait bien compris que le loup était ailleurs. Il acquiesça à ma question d’un mouvement de tête et d’un sourire fraternel. Complice. Oui, le loup nous piqua les yeux dès le seuil de la porte. Oui, Georgio paraissait nous dire quelque chose de lui au passage de la frontière de cette nouvelle vie qu’il avait imaginée, espérée. Nous dire ou nous dissimuler.
Le logement qui se dévoilait à nos yeux était vide. Nu comme un ver. Dans le sein de cet appartement déshabillé, Georgio allait se désencombrer des oripeaux de souffrances, de peurs, de névroses, de malheur. Il ne le put en réalité puisque cet appartement resta inoccupé. Toutefois, il joignit son geste à l’intention. Toutefois, il tenta l’impossible. Cet appartement incarnait pour lui le souffle, l’oxygène, le vent de nouveautés, de renouveau. Surplombant l’histoire d’une famille terrienne ensemencée de pesanteurs morales, intellectuelles, de poncifs en tout genre, enracinée ou engluée dans ses archaïsmes, le cadeau fou que Georgio avait offert à ses désirs les plus chimériques lui permit de conserver, je le crois, un pied dans une certaine réalité, de conserver un tant soit peu de conscience et de lucidité dans son esprit volontiers encagé, emprisonné, entaché de frayeurs, d’inquiétudes, d’interdictions.
D’interdictions. Oui, c’est cela, d’interdictions.
D’interdictions, encore.
D’interdictions, encore, toujours.
D’interdictions et de silences.
De silences, moribonds, empêchant la lumière de jaillir.
De silences, abscons, empêchant les proches de comprendre.
Georgio, notre bel incompris, avait éteint la lumière dans les biens immobiliers hérités de ses parents. En les noircissant de mille saletés et inutilités. En les délaissant au rythme de ses désillusions. A l’inverse, l’appartement de la tour Emeraude avait bénéficié d’un tout autre traitement. Il était propre, entretenu, désencombré. D’une certaine manière, il était l’avatar de Georgio. L’avatar d’un Georgio amélioré, immaculé. L’avatar d’un Georgio métamorphosé.
*
* *
Un matin, au bureau, le téléphone sonna. Geoffroy prit l’appel. Il en est ainsi, Geoffroy prend tous les appels.
– Monsieur Guerry, je suis Natacha Lamine, l’assistante de Maître Michèle-Marie Delagrave. A l’examen des titres de propriété de Monsieur Georgio D, j’ai constaté que l’appartement du défunt à Paris était doté d’une cave dont nous ignorions l’existence. Un inventaire y est également nécessaire. Je pourrais vous donner rendez-vous mardi prochain, à 9 heures. Cela vous conviendrait-il ? Je me suis assuré de la disponibilité de notre commissaire-priseur, Maître Christophe Ledoré, à cette date.
– Je vous remercie, Madame, de vos diligences. Mon associé et moi-même serons présents au rendez-vous afin d’assister à la prisée qui sera effectuée dans la cave.
– C’est parfait ! A mardi prochain !
*
* *
Jeannette nous attendait dans le hall de l’immeuble. Elle ne savait pas que nous venions et, pourtant, nous attendait. Jeannette ne dormait plus depuis le décès de Georgio. Elle avait été son ange-gardien, sa confidente, sa véritable amie. Depuis sa triste fin, elle s’en voulait de ne pas être intervenue au cours de ces dernières années pour l’assister, le conseiller, l’écouter. Pour le secourir. Il est vrai qu’alors Georgio évitait les contacts, rasait les murs, ne croisait plus les regards, ceux de la vie. Un vivant-mort. La flamme s’était éteinte, depuis bien longtemps.
Jeannette ne fut pas surprise de nous voir puisqu’elle nous attendait. Tout en ne sachant pas que nous viendrions. « Je vais vous mener à la cave de Georgio », nous dit-elle avec énergie. « Sa cave porte le numéro 7. La mienne, le numéro 9. Nous nous croisions souvent, dans nos caves. Georgio s’enfermait dans la sienne durant des heures. Il s’y reposait, je crois. »
Meneuse du jour, Jeannette nous conduisit dans les sous-sols jusqu’à la septième cave que nous ouvrîmes promptement. Il nous fallait nous presser un peu. Les caves ne présentent jamais aucun intérêt. Celle de Georgio démentit nos pronostics et lieux communs.
Une antichambre. Une sorte de boudoir. Tout un univers de lumières scintillantes, de strass et de paillettes. L’univers intime de Georgio, de Georgia devrions-nous dire. Georgia, la fée des revues, des scènes parisiennes. Georgia, l’étoile de la métamorphose, de la transformation. Du transformisme. Georgia, le secret bien gardé de Georgio. Son secret inavoué, inavouable.
De jolies tentures de velours cramoisi plantaient le décor de cet espace exigu tapissé de moquette. Un miroir de pied côtoyait un fauteuil club très usé. Des penderies supportaient de lourdes robes savamment travaillées, richement brodées, au nombre d’une trentaine. Quelques coiffes emplumées pavanaient au sommet des armoires. Un petit meuble bas fut découvert dans le fond de la pièce. Dans un tiroir, des boîtes de maquillage et poudres, mais aussi divers accessoires de beauté ravirent notre curiosité. Dans un autre tiroir, des photographies nous représentaient Georgia dans la splendeur de ses sourires radieux et de ses tenues colorées autant que charmeuses. Michou n’était jamais loin de Georgia. Michou et Georgia avaient été amis. Durant de nombreuses années, Georgia avait travaillé pour l’homme-en-bleu. Secrètement.
Les deux parties d’une photo déchirée se trouvaient là aussi, dans ce pêle-mêle de souvenirs. Les deux parties d’une affection brisée sans doute. Georgio, d’un côté, brun et ténébreux. Gonzague, de l’autre, blond comme les blés, rieur et joli cœur…
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Je comprends l’incompréhension. La douleur qu’elle génère. Chez l’incompris, comme chez ceux qui ne comprennent pas. A l’instar de Georgio ou d’Andrea, protagoniste d’un film extraordinairement beau et sensible de Luigi Comencini – sorti en salle à l’été 1968 –, je me suis souvent dit que nul ne pouvait me comprendre, comprendre mes différences, les colères et souffrances qui naissent de mes singularités et particularités.
Le temps allège le poids de ces sentiments, panse les maux. L’amour aussi.
En cette fin d’année tempétueuse, familles, amis, soignants ont adouci de leur soutien les tourments d’un corps et d’un cœur chahutés. Enguerran et Alban, mes frères de délicatesse et d’armes, Stéphen, Alicia, Geoffroy, talentueuse Claire, belle et joyeuse Marie-Hélène, épastrouillante Janou, Laëtitia, mon cher cousin Stanislas, Christophe l’esthète breton et parisien, Christophe l’esthète parisien sans être breton, François mon copain de bistroquets, Damien et ses « mip » « mip », inspirante Vita-Maria, Antoine et Hélène, Ségolène et Charles-Edouard, Florence, tante Marie-France, tante Pat, poétique tante Christine, Guillaume et ses pharaons, Chantal, Marité, Bruno, Karen, Linda, Hubert, le plus Malouin des Auvergnats, touchante Dorothée, oncle Philippe-Georges, Wilfried, Julien, Marine et Amaury, docteur Stéphane H, docteur Jean-Philippe B, docteur Jean-David W, Nathan, Thibault.
Mes parents.
Je suis fort de leur présence et de leur compréhension. De leur indulgence.
Paris, le 12 décembre 2022
Par Rodolphe de Saint Germain.
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